4.1.11

Heidegger : L’oubli de l’être



Heidegger parle de l’oubli de l’être comme étant ce qui a caractérisé l’histoire de la métaphysique. Oublier l’être et se limiter à la question de l’étant, serait donc la métaphysique. Voilà comment peut-on mal comprendre Heidegger ! C’est-à-dire, en prenant le mot « oublier « dans un sens ordinaire. Cette mauvaise compréhension commence déjà avec ce mot « oublier » qui risque de nous jeter loin de ce que Heidegger veut dire. Et c’est souvent le cas dans les lectures non averties à propos de Heidegger. Et c’est là que je vais m’arrêter un peu pour éclairer cette mauvaise compréhension.

On a souvent dit que la métaphysique, selon Heidegger, a focalisé son travail sur l’étant en oubliant l’essentiel : L’être. Mais ce n’est pas du tout ce que Heidegger voulait dire ! Pour lui, « oublier » a un sens plus délicat, plus riche que le sens qu’on emploie normalement.

Je peux dire que je suis sorti de la maison et je me suis rendu compte que j’ai oublié le livre des mathématiques que je devais prendre avec moi ; je l’ai donc oublié, c’est à dire que je l’ai pas porté avec moi, j’ai alors les mains vides. Et là je ne fais qu’employer le verbe « oublier » dans sa signification la plus directe, la plus ordinaire. Et c’est justement le cas d’usage de ce verbe qui ne concerne pas Heidegger.

Je peux par contre dire que je suis sorti et je me suis rendu compte que j’ai oublié le livre des mathématiques que je devrais prendre avec moi et par erreur j’ai pris le livre de la physique, c’est à dire que j’ai pris un livre à la place de l’autre, je n’ai donc pas les mains vides, mais je n’ai pas en main le livre que je devais prendre. Oublier ici, c’est prendre une chose par une autre ou à la place de l’autre. Je n’ai donc pas seulement oublié mais je me suis trompé : Croire prendre le vrai livre en prenant un autre, et c’est là le sens du mot « oublier » que Heidegger » veut exprimer : Oublier c’est prendre une chose au lieu d’une autre, prendre une chose à la place de l’autre ; oublier ici est plus grave puisqu’on s’est trompé de l’ordre des choses, c’est à dire tomber dans l’erreur et non pas seulement tomber dans l’absence. Non pas seulement manquer l’acte, mais faire un faux acte croyant que c’est l’acte à faire. Oublier ce n’est pas ne pas se rappeler, mais c’est croire se rappeler vraiment.

Que veut dire donc oublier pour Heidegger lorsqu’il dit que la métaphysique est l’oubli de l’être ? Eh bien, il veut dire que la métaphysique, qui s’est donné pour objet de définir l’être des choses, a pris un faux itinéraire, car en voulant traiter la question de l’être, elle a manqué son chemin, en traitant la question de l’étant, toute en croyant qu’elle traite la question de l’être. La métaphysique a donc raté son objet, elle a pris un faux objet à la place de celui qu’elle a prétendu vouloir prendre comme objet de ses recherches. Et c’est ce qui est grave ! Car, croire régler la question de l’être en réglant faussement la question de l’étant ne consiste pas à finir dans le vide, mais à finir dans un autre chemin toute en croyant être dans le bon chemin ; c’est ce que Heidegger appelle « Holzweg ».

C’est de là que relève l’authenticité de la pensée de Heidegger ! Reprendre cette question fondamentale de la métaphysique pour en finir, les yeux dans les yeux, en face à face. Or cette face à face commence déjà par se rendre compte de la nature de cet oubli. Reprendre toute une histoire de la métaphysique pour la remettre dans son chemin qu’elle a pris par un autre chemin : Se mettre d’abord dans le vrai chemin et savoir marcher sur les Holzwege, voilà ce que Heidegger a voulu d’abord faire.

Tribak Ahmed

6.10.10

Séduction: présence et absence



La séduction a bien son effet à la fois terrible et beau, et pourtant, il nous est difficile de définir où se concrétise-elle ? Comment agit-elle ? Est-elle d'ordre spirituel ou matériel? ? En fait, elle ne se définit nulle part, elle ne se concrétise sous aucune forme, elle n'est ni d'ordre matériel ni d'ordre spirituel. Et malgré cela elle est ! Mais on ne la connait que par son effet sur le corps et sur l'âme !
Il est vain d'aller chercher d'où elle vient et comment elle vient. Ce n'est que par ses traces tant tôt fatales, tant tôt enchantées qu'on connaisse et qu'on touche sa présence, ou plutôt son passage discret: C'est dans les yeux d'un amoureux, ses souffrances, sa défaillance ou plutôt son bonheur que l'on la voit. Dans le chagrin criant l'envie de mourir ou dans la joie criant le trophée que l'on la sent.
Ce n'est pas par hasard que des romanciers et poètes ont écrit pour décrire ce qui est faste ou néfaste dans les effets terribles de la séduction. Dans toutes les cultures, de longs et beaux écrits ont été réalisés pour parler d'elle avec ce qu'elle a de particulier, c'est à dire, son aspect silencieux, insidieux, occulte ou manifeste jusque dans les limites de la folie. La séduction n'est pas matérielle, mais en même temps elle a des effets matériels; elle n'est pas spirituelle, mais elle a bien des retombées spirituelles. Elle peut subvenir à n'importe quel moment, lorsqu'on la croit absente elle peut être présente, et lorsqu'on la croit présente elle peut disparaitre brusquement.
Seulement, peut-on vivre sans elle ? La vie serait une galère de roche sans elle ! On ne peut pas vivre sans elle, elle est notre destin ineffaçable comme disait Baudrillard.

TRIBAK AHMED

26.7.10

Séduction et mille nuits


Raconte-moi un très beau récit ou je te tue ! Voilà ce que le roi Chahrayar a imposé comme loi pour se venger des femmes, lui qui fut choqué de voir sa femme le « trahir » ; c’est le principe qu’il annonce pour venger sa virilité trahie et humiliée. Chahrayar le roi, n’a jamais pensé qu’il peut être « trahi ». Il croyait qu’être un roi rend impénétrable la virilité ! Mais quoi ? Comment oserait-on toucher le vagin qui appartient exclusivement à un roi ? Mais il ne savait pas que les questions du cœur, de l’âme et du corps ne sont jamais exclusives ! Il créa alors ce terrible principe : « Je t’épouse mais pendant la nuit tu me racontes un très beau récit, sinon à l’aube je te tue ! » Ainsi des dizaines de femmes meurent chaque nuit puisqu’elles acceptent cette condition mortelle, sous l’effet d’une envie séductrice, celle d’être la femme d’un roi, croyant chacune que sa beauté la sauvera de la mort ! Chahrazad, la fille du ministre, décida de mettre fin à ce massacre, elle se présenta devant le roi Chahrayar pour tenter sa chance, il l'épousa.
Une confrontation tragique : D’une part un roi blessé terriblement n’ayant que l’envie de se venger des femmes, il est devenu un tueur selon ce principe fatal : Raconte-moi un très beau récit ou je te tue ! D’autre part une femme n’ayant qu’un récit à raconter pour se sauver et sauver les autres femmes, elle est tuée d'avance !
Chahrazad commença son récit le soir jusqu’à l’aube, mais son récit ne se termine jamais et tellement enchainé d’histoires séduisantes, si bien qu’en s’arrêtant à l’aube, le roi Chahrayar se trouve obligé de la laisser en vie pour apprendre le reste du récit si séduisant qu’il la laisse en vie. Ainsi les milles et nuit passèrent sans que le roi ne s’aperçoive que son principe mortel est tourné contre lui, la magie tourne contre le magicien ! Il est maintenant le tué et elle la tueur : Tout se passe dans l’élément de la séduction ! Qui séduit qui ? C’est là où se jouent la vie et la mort.
Après les milles et une nuit Chahrayar s’aperçoit qu’il a déjà trois enfants avec Chahrazad, il ne peut donc pas la tuer, étant la maman de ses trois fils ! Là encore un autre élément de la séduction : Une mère et ses trois fils peuvent-ils être condamnés ? Ainsi Chahrazad se sauva et sauve avec elle une autre dizaine de femmes qui n’auraient pas su séduire le roi Chahrayar. La séduction s’avère ici une arme aussi redoutable qu’une armée d'un roi !

TRIBAK AHMED

17.7.10

Monologue sur la séduction (1)


« J’aime, et j’ignore comment et pourquoi ? J’ignore qui est-elle ? Je n’en sais rien ! L’amour et de n’en savoir rien ! »

Je sors, les choses et les gens passent devant moi, et moi aussi je passe devant les choses et les gens. Cela passe depuis que j’existe au monde, mais je ne suis pas indifférent ! Des événements me choquent et touchent négativement mon goût à la vie, d’autres au contraire me donne l’appétit ou plutôt la joie pour continuer mon parcours dans la vie. Une antinomie qui oppose le désenchantement à l’enchantement. Le réel est-il beau ou est-il laid ? Il est les deux à la fois même ! Il y a un fil très mince qui me retient dans cette antinomie, c’est la séduction ! C’est au moment même où je réalise le coté laid du réel que d’autres choses séduisantes viennent me soutenir et me fassent voir l’enchantement dans ce même réel ! La séduction est l’élément qui me retient à la vie.

Qu’est ce donc la séduction ? Il est vain de la définir ! Parce qu’elle est indéfinissable ! Et pourtant elle est là, je la sens et elle active ma vie. Écoutant un très beau morceau de la musique, je sens la joie où le chagrin, et cela me fait vivre un beau moment où toute mon âme et tout mon corps chantent l’hymne discrète de la vie : Mon cœur bat en voyant une femme ! Pourquoi ? Je n’en sais jamais rien ! Pourquoi celle là et pas une autre ou beaucoup d’autres ? Je n’en sais rien ? Inutile même de vouloir le savoir ! C’est irrationnel ! J’adore, mon cœur bat fort et même un instant de panique général et je n’en sais toujours pas pourquoi ! Pourquoi exactement cette femme me fait cet effet ? Où pourquoi exactement ce morceau de musique ? Pourquoi exactement un tel morceau d’art et pas d’autre ? C’est irrationnel !

Il y a une danse diabolique, un ballet fantastique entre l’irrationnel et la séduction ! Un mariage sournois et agressif mais terriblement beau ! Sournois dis-tu et agressif ? Oui, mortel même ! Toute séduction comporte vie et mort. La séduction est un risque ! Être séduit c’est être déjà fragile et au seuil de la mort ! La séduction porte un danger de mort, mais elle est essentiel pour la vie, et c’est là son caractère antinomique : Fondamentale pour la vie tout en comportant risque de mort ! Si bien qu’une séduction qui ne comporte pas un danger de mort ne peut jamais être une séduction ! N’est-il pas trop risqué d’être amoureux ? Les liaisons fatales et dangereuses de Laclos en est une démonstration. Je suis amoureux, je suis donc presque mort.

La séduction est déstabilisation, un décentrement de la force comme de la raison, être amoureux c’est être déstabilisé et décentré de soi-même. C’est pourquoi seules les fortes âmes sont capables d’aimer et d’être amoureux. Les fragiles n’aiment jamais, ils fuient l’amour, car ils n’en sont pas dignes. Ainsi, un amoureux(se) est déjà un héros ! Un(e) héros n’abandonne jamais, il est trop fort pour accepter d’abandonner.

Achille a été averti par sa mère, que sa participation dans la guerre de Troie sera pour lui un trophée majeur qui le fera régner dans l’histoire, mais il y a un sérieux danger de mort, et pourtant il n a pas hésité à y participer, parce qu’il est un héros qui ne recule devant rien. Ainsi, la séduction est notre DESTIN !

25.1.09

Foucault et l'histoire du silence


Michel Foucault est sans doute le premier qui a donné à l’histoire son statut respectable, en faisant d’elle une discipline rationnelle, plutôt près de l’épistémologie que des abstractions métaphysiques. Nous avons devant nous sans doute le même succès chez Dumézil, Lévi-Strauss, Popper, Khun, Bachelard, et pourtant c’est lui qui a été le plus clair quant à la fermeté de cette discipline qui reste toujours difficile à entretenir. Il a surtout libéré l’histoire des illusions et des pré-jugements engendrés par Hegel, c’est grâce à lui qu’on est passé à l’histoire rationnelle et ferme quant à ses engagements vis-à-vis de la rigueur scientifique, c’est pour quoi je trouve en lui le fondateur du nouvel historicisme réel et soumis aux règles formelles et d’ordre scientifique.

Foucault est l’un des grands philosophes de notre époque, il ne s’est pas arrêté à la limite de mise la en question de notre pensée contemporaine, il est allé jusqu’à la mise en question de notre existence, nos comportements et nos pratiques. La question pour lui est arrivée jusqu’à voir le lien entre pouvoir, sexualité, corps, raison et folie ; pour lui l’histoire parle de tout ça, car l’essentiel pour lui n’était pas de fonder une histoire du passé, mais plutôt fonder un passé du présent, c'est-à-dire qu’il nous a mis face à nous même.

Il avait cette capacité et ce courage extraordinaire de décamoufler et de déceler la technologie du pouvoir, et de déconstruire tout l’édifice sur lequel se sont fondés des rapports de l’hégémonie et de la répression ; et il n’a fait exception ni pour la psychiatrie, ni pour les violences pratiquées dans les établissements pénitentiaires, il n’a pas non plus fait exception pour les rapports des hommes à la sexualité.

Cette grande masse des hommes jetés et enfermés dans des carreaux bien architecturés du pouvoir, privés du droit à la parole et à la voix, c’est cette masse qui était au centre d’intérêt de Foucault, afin de lui rendre la parole et le droit à l’expression, et afin d’obliger la société à l’écouter et de reconnaître sa présence et sa voix digne d’être écoutée et entendue. L’histoire de la folie n’est pas non plus une histoire théorique, elle est une protestation réelle contre l’injustice, la contrainte et l’exclusion. C’est ainsi que les travaux de Foucault ont changé la perception de tout sur ce que veut dire la prison qui n’est pas seulement un lieu où on met les criminels et les délinquants, mais elle est essentiellement une machine de production de nouvelle criminalité et de nouvelle délinquance au service de l’économie et de la force du pouvoir. Dans l’Histoire de la sexualité, Foucault montre la présence imposante du sexe où s’est accrue des institutions qui ne parlent que de lui, et de sa nature, pour le généraliser selon une stratégie bien étudiée et calculée.

Pour lui l’histoire est ce domaine à travers lequel il a attaqué et critiqué toutes les formes de pouvoirs : médicale, politique ou pédagogique … etc. L’histoire est là une ontologie du présent. La philosophie est elle-même n’est qu’un champ politique et historique. La politique ne veut pas dire ici, ce domaine où des personnes professionnelles sont les porteurs de vérité qui parlent au nom des gens et de leurs intérêts, ce rôle est aboli définitivement par Foucault.

De quoi parle l’Histoire de la folie ? Elle parle des illusions de la psychiatrie et ses mythes, elle parle du discours de cette psychiatrie et ses pratiques médicales qui isolent et renferment les gens dans des lieux d’enfermement clos, et elle parle de l’histoire de l’internement et ses violations des droits à la parole et à l’expression. On ne peut comprendre ce mouvement d’anti psychiatrie et ces mouvements de revendication des droits, de la protection écologique et la lutte contre les guerres, que par cette forme d’histoire fondée par Foucault. Cette histoire et bien elle qui s’est dirigée vers la surveillance et la punition pour montrer comment la raison occidentale a permis à un discours médical de mettre la main sur la folie au nom de la médecine psychiatrique et ses différentes conceptions psychologiques dans le champ de la positivité, comme il a fait de la mort un sujet de science sur l’individu pour confirmer le partage entre le pathologique et le normal, entre le raisonnable et le fou, entre le vivant et le mort, entre le savant et l’ignorant, entre le producteur et le stérile, entre le juridique et le criminel, entre le morale et l’immoral, c'est-à-dire, qu’il a produit une valeur ajoutée du pouvoir et de toutes les formes de surveillance sociale. Cette histoire est aussi elle qui a montré comment la raison occidentale a changé l’exécution spectaculaire devant la fête du public pour donner au souverain plus de force, par la mise de l’individu dans espace clos qui permet sa surveillance et le contrôle méticuleux de ses mouvements et la domestication de son âme, pour que le citoyen devienne plus docile et plus maniable. C’est elle-même qui a monopolisé le sujet de la sexualité pour l’orienter selon des objectifs et des intérêts du pouvoir, non pas en le réprimant, mais en le transformant à un moyen de production et en créant plusieurs procédures plus efficaces et plus bavardes sur le sexe, afin d’élargir la production même de la sexualité en n'en épargnant ni la sexualité de l’enfant, ni celle des pervers ; au contraire, elle multiplie le discours sur elle et non le réprimer.

La raison occidentale a pu mettre pour la sexualité une taxinomie à quatre catégorie : - L’hystérie du corps féminin – l’éducation sexuelle – l’aspect social – la contrainte du désire individuel à la médecine. De cette façon, la fécondation, la jouissance et l’esthétique sont devenues objet de quantification, de distribution et d’orientation. Quant une décision gouvernementale exige la planification de la fécondation sous divers prétextes, elle maîtrise la sexualité et sa production selon des fins exigées par le pouvoir.

C’est l’histoire du silence et ce qu’il cache d’oppression et d’inflation du pouvoir ; il définit et marque les signes de rupture qui s’est produite dans la pensée occidentale moderne. C’est cette forme d’histoire que Sartre et beaucoup d’autres intellectuels des années soixante dix ont refusée, et pourtant c’est elle qui a pu montrer son importance dans la compréhension de ce qu’est l’homme et ce qu’est la raison. Nous sommes là, devant une nouvelle tendance de l’histoire réelle sans que nous ayons affaire ni à l’historicisme, ni aux esprits divins.

Le concept de l’histoire chez Foucault couvre trois axes de nos différents discours : Le premier consiste à intégrer implicitement Nietzsche, c'est-à-dire, une critique à l’histoire vue comme continuité et ligne relative à une origine ou un telot, puis critique aux discours des historiens comme une histoire monumentale et supra historique. Le deuxième consiste à objectiver le concept de l’événement, c'est-à-dire, l’idée d’une petite histoire constituée d’un nombre illimité de monuments muets et de récits sur une simple vie et un fragment d’existence, de là l’importance de l’idée de l’Archive chez Foucault. Le troisième se développe précisément à partir de l’Archive qui a poussé Foucault à collaborer avec beaucoup d’historiens, c'est-à-dire une problématisation de ce que peut être la relation entre la philosophie et l’histoire, ou plutôt, la relation entre la pratique philosophique et la pratique historique après avoir quitté le couple traditionnel: philosophie de l’histoire/histoire de la philosophie.

TRIBAK AHMED

1- Bachelard Gaston : « La formation de l’esprit scientifique ».

2- Deleuze Gilles : « Foucault ».

3- Foucault Michel : « L’histoire de la folie ».

4- Foucault Michel : « L’archéologie du savoir ».

5- Foucault Michel : « La volonté de savoir ».

6- Hegel : « La raison dans l’histoire ».

7- Hegel : « La phénoménologie de l’esprit ».


19.12.08

Heidegger et le chemin



Que veut dire Heidegger quant-il parle de la fin de la philosophie ? Que veut-il dire quant il fait la différence entre philosophie et pensée ? C’est quoi cette question de la technique ?

En fait, la pensée d’Heidegger est un questionnement interminable, la question pour lui est une ouverture d’un chemin, d’un nouvel horizon ; mais le questionnement, n’est jamais neutre, il se fait à travers la réflexion, il ne se limite pas à la mesure d’une science ou d’un savoir précis, ni même à la mesure d’une philosophie, sa pensée est un acte double, simultané de déconstruction et de construction. Il y a une vraie ressemblance entre le questionnement, la réflexion et la marche. On est ici devant une métaphore que nous devrions expliquer : Chemin, marche et pensée ?

Penser c’est comme l’acte de marcher dans une forêt où les chemins ne sont pas sûr « Holzweg », ils peuvent à n’importe quel moment finir dans l’impasse ; mais cela ne veut pas dire que ces chemins sont totalement bouclés, puisque les forestiers et les bûcherons 1 s y connaissent parfaitement dans ces chemins imprévus ; il y a un rapport direct entre ces deux partenaires dans la forêt, les uns fuient les autres tout en sachant comment traverser la forêt. Les deux savent bien ce que veut dire marcher dans ces chemins qui pour eux mènent là où ils veulent ; par contre, ceux qui n’ont pas le savoir et l’expérience de la forêt n’arriveront nulle part, ils ignorent ces chemins. La forêt est donc pénétrable et même facile à traverser par les uns, mais très compliquée pour les autres.

Ainsi est le chemin de la pensée ! Il est plus clair pour ceux qui en ont l’expérience, ils y passent en faisant usage de leurs expériences, cela ne veut pas dire que ces chemins sont faciles pour eux, mais ils ont conscience de son aspect imprévisible. Le chemin de la pensée n’est pas un espace plat et organisé, il est tortueux et appelle à l’attention puisqu’il est imprévisible. Le chemin de la pensée n’est pas clos ou bouclé ; il est plutôt à découvrir, ou pour mieux dire, il est à dévoiler ! Par la force de l’interprétation. L’interprétation n’est pas un simple geste de méditer, il est une force qu’on fait subir à l’être des choses pour le dévoiler. Comprendre, c’est déjà une action violente sur les choses pour qu’elles nous parlent et nous dévoilent ses petits secrets. Le chemin est donc un espace toujours vierge, contrairement à ce que peut être une route bien quadrillée et bien montée, elle n’a rien d’imprévisible.

Pendant que la route nous emmène tranquillement vers là où nous voulons aller et que nous connaissons déjà, le chemin lui, nous livre vers autres choses que nous ignorons mais que nous voulons connaître. Le chemin n’a cette valeur précieuse que dans la mesure où il nous promet des choses imprévisibles, des choses qui seraient la voix ou le visage de ce qui est resté pour longtemps caché, voix et visage de ce que nous pourrons dévoiler par la force que nous faisons subir aux choses pour qu’elles se dévoilent. Le chemin n’a d’importance que pour celui qui en connaît l’importance, que pour celui qui est en quête de quelques choses ! Comme cette forêt où bûcherons et forestiers ont beaucoup de choses à faire et avoir. Le chemin n’est en position de chemin qui ne mène nulle part que pour ceux qui n y ont aucun intérêt. Le chemin de la pensée, n’est pas un chemin bouclé et fermé, il est pour ceux qui s’y connaissent bien une aventure méritée vers quelques choses qu’on devrait faire parler ! Mais le chemin est fermé lorsqu’il y a désintéressement. Le chemin est une affaire d’intérêt ! Cherche-tu quelques choses dans ce chemin ? Alors il est bon pour toi d’y marcher ! Tu n’as rien d’intérêt dans ce chemin ? Alors tu n y trouveras rien !

La pensée est aussi une question d’intérêt et de volonté, on ne pense pas pour penser, mais on pense pour quelques choses que nous voulons atteindre. Le chemin de la pensée est souvent un chemin d’intérêt, sinon, il n’aurait pas cette qualité de chemin, et la pensée est souvent une question d’intérêt, sinon elle n’aurait pas lieu. Penser c’est déjà être impliqué par quelques choses et pour quelques choses. La pensée est souvent motivée par une volonté, une angoisse ou une peur, c’est pourquoi elle est une puissance.

La forêt n’a pas de valeur pour ceux qui n y ont aucun intérêt, mais elle a toutes les valeurs pour ceux qui y ont tous les intérêts ; c’est ce qui fait, que le chemin n’a de sens que pour ceux qui y cherchent. Et c’est ce que nous cherchons qui donne valeurs et sens à ce chemin. Le chemin appelle donc à la marche, et c’est une marche dont l’intérêt est d’explorer, d’agir et d’investir, et de ce fait, la marche n’a préalablement aucune garantie, mais elle prometteuse puisqu’il y a souvent de l’imprévu et de l’intérêt.

L’homme ce berger orphelin de l’être, est obligé de marcher, et donc d’écouter et de faire parler ce chemin qui a l’air muet. L’homme fait donc usage du langage parce qu’il a un dialogue muet, silencieux avec les choses et leur être. Il y a un fort rapport entre l’homme, le langage et l’être des choses, et c’est un rapport plein de violence ! Violence dont la fin est de pouvoir écouter cette voix infra verbale de l’être qui a l’air muet alors qu’il est plein de vacarme et de musique, mais surtout des possibilités infinies de sens. Nous avons l’air d’habiter ce monde, en fait c’est dans le langage que nous habitons ! Ce langage est notre lien avec tout être. Il est notre possibilité et notre tentative de parler à travers nous de ce monde qui parait infini et trop vaste pour le contourner d’un seul geste. Or le langage est aussi un acte d’écoute ! On ne peut pas parler sans écouter. Entre l’écoute et le langage, se tisse le sens de notre comprendre qui n’est qu’un acte de violence, trop risqué, puisqu’il porte avec lui la possibilité de l’errements. Il faut donc savoir écouter, et savoir adresser son langage, pour ne pas faire dériver et confondre ce qui résulte de notre écoute et de notre langage. Il faut tout simplement avoir l’art d’écouter et donc de parler. Il faut apprendre cet art ! C’est seulement de cette façon, que l’homme berger de l’être saura bien garder l’être. Peut être de cette façon, l’homme saura éviter l’excès de sa violence produisant notre face mortelle : La technique !

La fin de la philosophie est donc la fin d’une pensée qui a schématisé le chemin de la pensée, et l’a rendu fade et insignifiant, qui l’a rendu une route ! C’est aussi la fin d’une pensée qui a oublié son rôle d’écouter la voix de l’être, l’ayant réduit au simple exercice d’architecture, de science. En revanche, c’est une pensée vigilante, consciente de son rapport violent avec la métaphysique. La fin de la métaphysique est la fin d’une pensée inconsciente de son statut égaré et éloigné de l’être, inconsciente de la confusion qu’elle fait entre être, étant et Dasein. La fin de la métaphysique est la fin d’une pensée qui n’a pas su ce que veulent dire les chemins qui ne mènent nulle part « Holzwege ». Et par là, elle a réduit la pensée à la science et la technique, et maintenant, elle en souffre ! Consciente de cela, la pensée ne se permet plus cet éloignement, elle appelle à repenser notre destin à partir de sa remise en question de notre chemin, en questionnant l’être des choses, non pas pour trouver le secret ultime, ou les causes finales de notre existence, car il n y a pas de secrets originels, mais pour refonder notre rapport avec l’être.

TRIBAK AHMED

1- Heidegger M. : " Chemins qui ne mènent nulle part " Gallimard, idées.